Cette année-là, au printemps, tout fut tout d’un coup chamboulé. Un gredin de virus avait commencé à rendre les gens malades – qu’ils fussent jeunes, vieux, blancs, noirs, riches, pauvres, qu’ils fussent de Jassy, Rabat, Lisbonne ou Toronto. Le virus ne faisait pas distinction, il s’accrochait à tout le monde et passait d’une personne à l’autre. Le monde entier s’était arrêté. Les papas ne partaient plus en voyages d’affaires. Les mamans n’avaient plus de réunions jusqu’au soir. Les grand-parents ne venaient plus avec des tartes aux pommes ou des petits fours. Les enfants n’allaient plus à l’école. Les équipes sportives n’allaient plus en camps d’entraînement. Personne n’allait plus au cinéma. Personne ne sortait. Certains parents travaillaient depuis le salon familial, chacun avec son ordinateur, et alors les enfants devaient être silencieux pour ne pas perturber leur travail. Quelque fois, les enfants avaient eux aussi des devoirs, mais ils ne recevaient pas des notes, et on ne notait plus les absents…

A première vue donc, ce n’était pas une année très drôle, mais, en secret, les enfants étaient contents. Six mois de vacances! Six moi sans tante Aurore, la soeur de mamie, celle qui nous pincent les joues et nous embrassent bruyamment. Toutes la belle journée avec maman et papa. Temps illimité devant la télé et à la console de jeu… C’était comme si on se réveillait tout les matins et c’était le samedi.

Lia Liesse et Anne la Banane avaient grandi ensemble. Elle n’étaient pas grandes amies, mais maintenant que le monde s’était arrêté, elles ne pouvaient pas voir leurs autres amis. Il n’y avait qu’elles deux. Certes, elles ne pouvaient faire ni de la balançoire, ni du toboggan, et elles ne pouvaient jouer trop près l’une de l’autre non plus — mais elles pouvaient bien faire la course en vélo sur l’allée devant la maison, et elles pouvaient dessiner à la craie sur le trottoir. Les après-midis ensoleillés, quand leurs mamans avaient fini leur journée de travail, Lia et Anne allaient au parc qui se trouvait à côté de l’école. C’est comme cela qu’elles découvrirent la Boutique aux Bâtons.

La Boutique aux Bâtons se trouve juste derrière la haie de Madame Jeannot, leur ancienne institutrice de la maternelle. La boutique n’est ouverte que quand Lia Liesse et Anne la Banane passent par là, car elles seules savent où se trouve la porte d’entrée. Chaque fois qu’elles ouvrent la boutique, Lia Liesse passe le balai pour nettoyer le plancher jonché d’herbe fraîchement coupée, pendant qu’Anne la Banane fait l’inventaire: le bâton d’un demi-mètre est là. Le bâton pour faire une fronde parfaite, là. Le bâton à diriger… attends, il est où, notre bâton à diriger? Max, le chien de Béatrice, serait-il passé par ici et  aurait-il volé le meilleur bâton à diriger au monde?

Voyez-vous, dans tous les parcs du monde, il y a des boutiques aux bâtons. Elles sont invisibles pour les adultes –  seuls les enfants savent où elles se trouvent et ce qu’on peut y trouver comme jouets, surtout. Dans les boutiques aux bâtons on ne paie pas avec de l’argent, mais avec d’autres bâtons. Il y a des bâtons de toutes les formes, tailles et couleurs. Les adultes ne voient que des dangers dans ces bâtons, mais pour les enfants, ils sont bien plus que cela.

Regardez, ce bâton est en fait un sabre. Et celui-ci, un télescope. Et là, nous avons un faisceau de rameaux pour faire un feu de camp. Et là, juste à côté du balai de Lia, il y a une louche parfaite pour la soupe du soir. Ce bâton-ci est une baguette de fées. Là, il y a un râteau et une pelle. Celui-ci, c’est un stylo magique. Et ce bâton d’un mètre de long, c’est le bâton d’un fameux sorcier – il fait peur même aux dragons les plus méchants. 

Lia et Anne apportent tout le temps de nouvelles marchandises dans leur boutique. Après avoir compté tous les bâtons, elles décident à quoi sert chacun d’eux. Puis, les filles jouent à des jeux qu’elles inventent. Il n’y a pas besoin d’argent pour jouer avec ces bâtons, il suffit juste de les bien ranger après avoir fini de jouer. De temps à l’autre, il y a des bâtons qui disparaissent — les filles savent alors que Max, le chien de Béatrice, est encore passé par là – Max a bien droit à un jouet, lui aussi. Les enfants et les chiens savent le mieux quels jouets extraordinaires sont les bâtons.

Quelques centaines de mètres plus haut au bout de l’allée, c’est la gallérie des pierres peintes. De temps à l’autre, il arrive à Lia et à Anne de trouver dans le parc des pierres peintes. Elles les ramassent et les rassemblent dans un même endroit, pour d’autres passants puissent se réjouir, en le voyant. Une fois, elles ont elles-mêmes peint quelques petites pierres, qu’elles ont déposées à la gallérie à coté de leur école, et à celle de l’école voisine. Maintenant, il y a un tas de pierres peintes partout, et les filles adorent les regarder. Ce sont des pierres enchantées, bien évidemment.  Si tu trouves une pierre où quelqu’un a peint un bateau ou une fusée, il n’est même pas besoin de la toucher: tu la regardes très, très bien, puis tu fermes les yeux et tout d’un coup tu es dans le bateau en train de naviguer sur les vagues, ou dans la fusée, en train de monter vers les étoiles. Comme ça, avec les bâtons-jouets et avec les pierres qui te mènent en voyage, ces vacances trop longues sont devenues plus drôles.

Vous pensez peu-être Lia et Anne habitent une rue magique, et que ce parc plein de bâtons merveilleux et de pierres peintes est un parc enchanté. Mais je vais vous révéler un secret. Cette année-là, ce printemps-là où tout fut tout d’un coup chamboulé et que les balançoires ne pouvaient plus s’élever tout haut vers le ciel, eh bien, ce printemps-là, les enfants commencèrent à découvrir des boutiques aux bâtons. partout! Ces boutiques deviennent visibles dès que deux enfants se trouvent devant la porte d’entrée. Cela peut être deux enfants qui habitent dans la même maison ou peut-être dans le même immeuble. Ils ne doivent même pas forcément être grands amis. Il suffit que l’un fasse l’inventaire et que l’autre range la boutique, et puis tous les deux doivent se mettre à chercher des bâtons qui ne sont pas que des bâtons.

Et vous, est-ce que vous avez trouvé la boutique aux bâtons près de votre maison? Si vous l’avez trouvée, écrivez, s’il vous plaît, un petit mot à Lia Liesse et à Anne la Banane. Voici leur adresse: La Boutique aux Bâtons du parc d’à côté de l’école, juste derrière la haie de Madame Jeannot.

Je vous souhaite des bonnes vacances, chers enfants!